Pas de suspense inutile : bien évidemment, c’est l’existence d’un essai clinique randomisé avec évaluation échographique des valves cardiaques (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22723853). Et ça, on n’en a pas avec la dompéridone. Evidemment, si la mort subite était la fin d’un processus facilement identifiable, comme l’évolution des lésions valvulaires observée pendant l’essai, ce serait plus facile.
Mais il n’y a pas que l’existence de cet essai clinique
On a vu des vrais patients dans les deux cas. Certes ceux de la dompéridone avaient reçu la forme IV à forte dose et étaient assez mal en point lors de l’injection. L’immédiateté de la mort est un bon argument mais la suspicion actuelle porte sur des doses bien plus faibles et là on manque un peu de cas publiés (1 en 2010 « the drugs venlafaxine, amiodarone and domperidone may have contributed to QT interval prolongation in a patient with hypokalemia and hypomagnesaemia » ; (abstract lu seulement – http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20544619 ).
Ceux ayant eu des valvulopathies après la prise du mediator sont bien décrits dans plusieurs publications. Par exemple, celle de de Madame Irène Frachon en 2009 (http://erj.ersjournals.com/content/33/3/684.full.pdf+html) ou d’autres plus récentes (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21193484 ; http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21810827 ).
Il y a des cas de pharmacovigilance avec le mediator et la dompéridone. Plus avec le benfluorex a priori.
Il y a un substratum physiopathologique pour les deux. Il est plus puissant avec le benfluorex grâce aux publications passées sur des produits de la même classe thérapeutique. (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/8692238 ; http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/9271479 )
Ces arguments, ceux connus avant 2009, n’ont pas été considérés comme des démonstrations formelles justifiant l’arrêt de commercialisation du benfluorex. L’objectif de ce post n’est pas de discuter ce point.
Enfin, on a des études épidémiologiques dans les deux cas.
On a vu que les études épidémiologiques de la dompéridone manquaient un peu de rigueur et que de nombreux biais les entachent.
Ces études épidémiologiques de la dompéridone sont « banales ». Une grande cohorte, un événement, plein de causes possibles, plein d’expositions, des facteurs de confusions multiples pas toujours pris en compte ; bref la routine.
Il est vrai que la mort subite a plein de causes et que l’on ne fait pas d’autopsie. Donc, rechercher une cause médicamenteuse à la mort subite, pour laquelle on n’a presque pas de cas publiés, au milieu d’un ensemble de causes prépondérantes et en partie inconnues est un peu voué à l’échec. Les odds-ratios de 3 ramenés entre 1 et 2 avec des ajustements plus complets sont peu démonstratifs.
Regardons les études épidémiologiques du mediator.
J’en ai retrouvé 5 sur le Benfluorex et les valvulopathies ou l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP)
Les deux premières sont un peu spécifiques, la troisième est du type de celles réalisées pour la dompéridone et les deux dernières sont des analyses de patients diabétiques ayant reçu du benfluorex.
- Restrictive organic mitral regurgitation associated with benfluorex therapy. Tribouilloy C (2009) http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20237052
- Benfluorex and unexplained valvular heart disease: a case-control study. Frachon I (2010) http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20405030
- Benfluorex and valvular heart disease: a cohort study of a million people with diabetes mellitus. Weill A. (2010) http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20945504
- Increased risk of left heart valve regurgitation associated with benfluorex use in patients with diabetes mellitus: a multicenter study. Tribouilloy C (2012) http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23143159
- Frequency of drug-induced valvular heart disease in patients previously exposed to benfluorex: a multicentre prospective study. Tribouilloy C. (2013) http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24014218
Revenons sur les deux premières dont le principe peut être résumé ainsi.
- Des patients avec l’événement : valvulopathie
- Une élimination de ceux qui ont une cause connue : ce qui revient à faire des « ajustements éliminatoires »
- Donc la sélection d’un groupe de patients qui ont l’événement et pas de cause connue
- La création d’un groupe contrôle sur quelques critères parmi ceux qui ont une cause connue du même événement
- Une recherche des antécédents de prise médicamenteuse
- Une comparaison qui aboutit à un odds-ratio de 17 pour le benfluorex (voire 40 sans ajustement)
C’est le principe de l’étude de Madame I. Frachon ; celui de l’étude de Monsieur Tribouilloy (2009) est un petit peu différent mais dans les deux cas, il s’agit de sélectionner parmi les patients ayant l’événement, ceux pour lesquels il n’y a pas d’étiologie (ou de facteur de risque important) connue et de les comparer à ceux ayant une étiologie connue.
Je trouve cela malin (et Catherine Hill a participé à sa réalisation). Encore faut-il pouvoir le faire.
Les conditions de réalisation ne s’appliquent malheureusement pas à toute maladie/effet indésirable ou toute exposition : Il faut
- Une pathologie dont on peut connaitre les causes ou du moins les facteurs de risque importants.
- Une exposition qui puisse créer la pathologie sans autre facteur favorisant ou étiologique. Si le benfluorex n’exerçait son effet néfaste qu’en cas de pathologie dégénérative associée, par exemple, les cas auraient été exclus.
- Une exposition (médicament) qui soit prescrite indépendamment d’une des causes, que ce soit en prévention ou en curatif, ni prescrite pour une pathologie aux symptômes proches de ceux d’une pathologie causale.
- Qu’il n’y ait pas trop de médicaments (ou de causes inconnues) qui puissent créer la pathologie. Si 20 médicaments pouvaient la créer, la responsabilité du benfluorex aurait été « noyée ». L’odds-ratios n’aurait probablement pas été si élevé. Il l’est grâce à la sélection des patients et à l’absence de « concurrents médicamenteux », voire de causes inconnues, donc ne permettant pas d’exclure les patients.
Comme le dit Irène Frachon, on peut discuter du choix de la population contrôle parmi les personnes ayant eu l’événement. Les facteurs de risque connus de la valvulopathie ne semblent pas être des contre-indications au benfluorex ou en réduire sa probabilité de prescription donc à priori, cela ne majore pas l’odds-ratio.
L’odds-ratio obtenu dans ce type d’étude ne peut pas être comparé à ceux des études de la dompéridone car la sélection de la population le majore dans l’étude d’I. Frachon ; mais un odds-ratios à 17 voire à 40 ça le fait !
Ceux de l’étude Weill sont de l’ordre de 3 à 4 ; ils sont établis chez des patients diabétiques « tout venant », indication du benfluorex. Même si les ajustements ne sont pas très nombreux, on notera qu’ils font légèrement augmenter les risks-ratios alors que dans les études dompéridone, les odds-ratios diminuaient généralement avec les ajustements (patients plus gravement atteints en général que les contrôles). Néanmoins, une telle étude a plus un rôle détection d’un éventuel risque que de démonstration du risque.
Les deux dernières études décrivent les différentes lésions induites par le benfluorex et comparent leur fréquence chez des diabétiques ayant pris du benfluorex à d’autres diabétiques n’en ayant pas pris. Les odds-ratios sont entre 2,38 et 5,29 selon l’atteinte observée.
En conclusion,
- benfluorex et dompéridone, c’est pas pareil !
- démontrer un effet néfaste aussi grave d’un médicament avec un essai clinique sur 800 patients suivis 1 an est grandement facilité par la possibilité d’évaluer sa progression sur des examens complémentaires et la fréquence des anomalies observables.
- la nature des effets néfastes du benfluorex permet la réalisation d’études épidémiologiques particulières. La sélection de patients sans cause connue de valvulopathie permet le ciblage des patients atteints en raison d’une exposition particulière. A mon humble avis, peu de maladies/effets secondaires permettent ce type d’étude, mais il faut y penser car leur pouvoir de conviction est assez fort.
La mise en évidence d’un événement indésirable un peu rare d’un médicament est très difficile. Cette difficulté est dépendante de la nature de l’effet secondaire, de sa spécificité en particulier, de la connaissance des autres causes possibles, de la sensibilité des examens complémentaires à mettre en évidence ses premiers signes et…surement de plein d’autres trucs.
Cela vaudrait le coup de réfléchir à d’autres méthodes de confirmation des événements indésirables que la répétition des grandes études épidémiologiques qui finissent par lasser.