(Cet article précise celui sur les biais liés au temps)
Exemple :
évaluons l’impact de la prise d’un sirop de grenadine sur la mortalité des patients diabétiques.
Par chance, nous disposons d’une cohorte de patients diabétiques qui ont noté s’ils prenaient du sirop de grenadine ou non. C’est une grosse cohorte, plus de 50 000 patients.
Comparons donc les patients ayant pris du sirop de grenadine et ceux n’en ayant jamais pris sur le taux de mortalité.
Par chance, les caractéristiques initiales des patients dans les deux groupes sont identiques (initial : au moment de leur première entrée dans la base de données de la cohorte). Tous les ajustements sur l’âge, le sexe, la gravité du diabète et les comorbidités ont été réalisés et ne modifient pas le résultat.
Surprise, les patients ayant pris du sirop de grenadine vivent plus longtemps que ceux qui n’en ont jamais pris !
Une telle découverte mérite publication. Son titre sera: le sirop de grenadine diminue la mortalité chez les diabétiques.
Si vous êtes étonnés que le sirop de grenadine puisse avoir un tel effet, sachez que j’aurais pu obtenir le même résultat avec le gâteau au chocolat, aux amandes ou le fait d’être monté dans une voiture jaune.
Le biais de cette étude est facile à comprendre : pour boire un sirop de grenadine, manger un gâteau au chocolat, aux amandes ou monter dans une voiture jaune, il faut être vivant.
Les patients qui ont bu le sirop de grenadine ne sont donc pas morts avant de le boire et tous ceux qui meurent avant de boire un sirop de grenadine sont dans le groupe contrôle. Si on prend en compte dans le groupe des « cas » la période entre l’entrée dans la cohorte et la prise de grenadine, on offre aux « cas » une période d’immortalité au cours de laquelle aucun décès ne peut survenir.
Un petit schéma pour expliquer le problème
Sur le même principe, ceux qui prennent plusieurs fois du sirop de grenadine peuvent survivre plus longtemps que ceux qui n’en prennent qu’une fois. Ce qui permet de valider un des critères de Hill pour suggérer une causalité…
Ce biais est le biais d’immortalité ou immortal time bias en anglais.
Le biais d’immortalité, tel que décrit ci-dessus, sous-estime toujours le risque (ici de décès) dans le groupe exposé.
Il y a plein d’exemples dans la littérature. S. Suissa en colligeait une vingtaine en 2007 . Le « drug exposure » correspond à mon sirop de grenadine.
Comme vous pouvez le constater sur le tableau ci-dessus, Suissa décrit deux cas de biais d’immortalité. Le premier -misclassified immortal bias- est celui décrit ci dessus.
Le second biais décrit dans l’article est l’ « excluded immortal bias ». Il survient lors de la comparaison de deux cohortes débutant à des moments différents.
Reprenons l’exemple du sirop de grenadine. Supposons maintenant que le protocole prévoie que les patients du groupe « cas » entrent dans le suivi quand ils ont pris le sirop de grenadine.
On compare donc deux cohortes débutant à des moments différents (flèches rouges). On exclut donc du calcul les « patients-durée » du groupe « cas » avant la prise du sirop. Ces patients-durée devraient être intégrés au groupe contrôle. Ce sont des patients « immortels » qui doivent être inclus dans le groupe contrôle.
En excluant des patients-durée non exposés qui ne vérifient pas le critère d’évaluation (décès), on augmente le risque de décès dans le groupe non exposé (le numérateur est identique -nombre de décès- mais le dénominateur est diminué par le biais puisqu’il n’inclut pas les patients-durée immortels.
A noter que l’entrée des deux groupes comparés à différents moments du suivi risque de créer deux groupes différents.
Certains développements de nouvelles indications pour ces médicaments sont basés sur ces études biaisées. Elles ne furent pas couronnées de succès…
Comment éviter ces biais?
Le principe proposé par Suissa consiste à réintégrer dans le groupe non-exposé/contrôle les patients-durée entre l’entrée dans la cohorte et la survenue de l’événement définissant l’exposition (la prise de sirop de grenadine) et de recalculer les hazard ratio avec ces nouvelles données de patients-durée.
Suissa propose aussi quelques règles pour aider les reviewers à détecter les biais d’immortalité
Si une étude de cohorte met en évidence un bénéfice important (HR <0.7), il faut obtenir des réponses aux questions suivantes : (on peut les poser quand même si le bénéfice est moindre..)
- L’exposition au traitement est-elle déterminée pendant le suivi des patients?
- Le début du suivi est-il différent pour les deux groupes constitués (traité et contrôle)?
- Les groupes de traitement sont-ils déterminés de manière hiérarchique, d’abord le groupe traité puis le groupe contrôle?
- Les patients étaient-ils exclus du suivi sur la base de l’instauration d’un traitement?
- Les résultats sont-ils présentés en « nombre de patients » (et non en nombre de « patients-durée »)?
- L’analyse est-elle basée sur des durées fixes
Bonne recherche des Immortels !