Depuis près de 2 ans, l’EMA nous avait mis l’eau à la bouche en parlant de transparence et de mise à disposition du public des données des essais cliniques.
Le 22 novembre 2012, l’EMA organisait une réunion de travail pour définir non pas quand mais comment seraient rendues publiques les données des essais cliniques (y compris les données individuelles) : “The European Medicines Agency is committed to proactive publication of clinical-trial data, once the marketing-authorisation process has ended. We are not here to decide if we publish clinical-trial data, but how.” This is how Guido Rasi, Executive Director of the Agency, opened the workshop on access to clinical-trial data and transparency held on 22 November 2012.
Des réunions de travail ont alors été organisées pour définir les modalités de mise à disposition du public de ces données. Cinq groupes de travail ont été créés pour débattre sur les sujets suivants :
1. Protection de la confidentialité des patients
2. Format des données des essais cliniques
3. Règles d’engagement des demandeurs
4. Bonnes pratiques d’analyse
5. Aspects légaux
Pendant près de 6 mois, les groupes se sont réunis et ont débattu des modalités de mise à disposition du public des données individuelles des essais cliniques. Une première proposition de procédure pour la mise à disposition des données des essais cliniques a été publiée pour commentaires en juin 2013.
Plus de 150 personnes ou organisations ont fait plus de 1000 commentaires.
Compte tenu de ce nombre imposant de commentaires, l’EMA a repoussé la sortie de la nouvelle politique de juin 2014 au 2 octobre 2014.
Et ce 2 octobre 2014, nous avons finalement appris que rien ne changeait.
En avril 2013, j’avais déjà obtenu le rapport clinique d’une étude clinique (certes, 2 ans après ma demande et après avoir déposé une plainte auprès du médiateur européen).
La nouvelle politique promet uniquement que les rapports d’essai clinique seront disponibles pour les produits dont le dossier sera déposé après le 1er janvier 2015. Donc c’est restrictif puisque j’ai déjà récupéré le rapport d’une étude de 1997 et sans avoir à m’engager sur les « Term of Use ».
Rien n’est prévu pour la mise à disposition du public des données individuelles des essais cliniques !
Donc rien ne change et toutes les discussions et les 1000 commentaires sur les données individuelles n’ont servi à rien. Tous ceux qui ont participé à ces groupes devraient l’avoir mauvaise…
Les rapports des essais cliniques seront peut-être plus facilement obtenus mais leur utilisation sera assujettie à des conditions nouvelles, en particulier, il sera interdit d’en faire une « unfair commercial use » et seuls les « academic and non-commercial research purposes » sont autorisés. Ce n’est pas anormal mais il n’y a pas de définition de « unfair » ni de « non commercial ». Est-ce que dire qu’un essai est biaisé est autorisé ? Est-ce « unfair » de dire qu’un essai comporte des biais ou un risque élevé de biais? Il est certain que si c’est bien argumenté, ce sera utilisé en promotion, donc avec un objectif commercial avéré.
Le droit applicable est celui de l’Angleterre ou du pays de Galles. Un européen est-il finalement censé ne pas ignorer le droit de ces deux parties du Royaume-Uni ?
Rien n’est proposé pour que toutes les études réalisées soient obligatoirement listées afin d’éviter le biais de publication. C’était une requête d’Alltrials.
Et Alltrials se réjouit de ce camouflet.
La mise à disposition des données individuelles, sujet sur lequel ont planché les différents groupes, est repoussé aux calendes grecques ou à la saint Glinglin.
C’était le seul sujet d’intérêt pour obtenir une meilleure évaluation des médicaments.
Je vous rappelle que l’EMA ne ré-analyse pas les essais cliniques à partir des données individuelles. L’EMA lit les rapports des essais cliniques fournis par le demandeur d’AMM, pose des questions qui ne sont pas rendues publiques et valide ou non les produits.
La validation se fait par un vote à la majorité + 1. Certains pays sont moins impliqués dans le choix car leurs habitants n’auront pas la possibilité de les acheter et ne bénéficieront pas d’une sécurité sociale.
Pour apprécier la qualité d’un essai clinique, lire le rapport rédigé par le sponsor ou analyser des données individuelles peut aboutir à des conclusions opposées.
Les rapports d’essai clinique sont rédigés par le sponsor qui, a priori, n’a aucun intérêt à fournir des informations complémentaires pouvant minimiser le bénéfice de son produit (en taille d’effet ou en nombre de bénéficiaires).
On peut certes y trouver une description plus complète des événements indésirables. La lecture du protocole permet aussi de se faire une idée plus précise des procédés de conservation de l’aveugle. A ce titre, la lecture de la note d’information et de consentement sera intéressante.
Le rapport d’essai clinique permet de mieux définir le risque de biais tel qu’il est analysé dans les revues de la Cochrane mais ne permet pas de quantifier l’impact du biais sur les résultats.
Les conclusions que l’on peut tirer de la lecture des rapports sont donc du type : cet essai est à risque de biais mais on ne peut pas dire comment ces biais ont impacté les résultats. Dans le doute, on accepte donc les résultats mais on surveillera les résultats des suivis de patients…
Le cas Avonex démontre bien que l’on peut mentir dans un rapport d’essai clinique et retirer des informations, pourtant listées dans les appendices, sans que l’EMA le remarque et sans que l’EMA ne s’en émeuve une fois informée du fait… et que le biais de l’essai peut être mis en évidence par une analyse des données individuelles (la FDA l’a fait !)
La plupart des biais décrits sur ce site n’apparaissent pas sur les publications ; ils peuvent être mis en évidence par des analyses réalisées sur les données individuelles. Seule la FDA pratique ces analyses.
Ces analyses permettent d’évaluer l’impact des biais sur les résultats de l’essai et donc d’avoir au moment de la demande d’autorisation sur le marché une meilleure idée de l’efficacité réelle du médicament.
En refusant de réaliser ces analyses et en refusant de mettre à disposition du public ces données, l’EMA favorise la mise sur le marché de produits inefficaces ou d’efficacité inférieure à celle validée par l’EMA.
Mais comment imaginer que l’EMA accepte de publier des informations qui permettraient à n’importe qui de démontrer qu’ils ont mal évalué un médicament ? La faiblesse de l’évaluation des médicaments fait le jeu des laboratoires qui ont des produits moins efficaces mais qui savent bien embellir leurs résultats.
On finira probablement par se rendre compte, au fil des études complémentaires de phase IV réalisées par les concurrents, de l’efficacité réelle des médicaments…. Les méta-analyses confirmeront ensuite la moindre efficacité de l’un ou l’autre des traitements.
Généralement cela survient quand le générique arrive sur le marché ou quand les ventes du produit « embelli » décroissent !
L’analyse des données individuelles permettrait de savoir cela au moment de la demande d’autorisation de mise sur le marché avant que des patients ne soient traités par ces médicaments moins efficaces. Ce serait quand même mieux !