Ben Goldacre (BG) et John Castellani (JC) president and chief executive officer, Pharmaceutical Research and Manufacturers of America (PhRMA) viennent d’écrire un papier sur la mise à disposition des données des essais cliniques. Donc je complète mon précédent papier (J’avais déjà parlé de la campagne Alltrials ici).
Le premier (BG) dit que les données ne sont pas suffisamment partagées, le second (JC) que si.
BG promeut la campagne Alltrials dont l’objectif est d’obtenir pour tous les essais cliniques les informations suivantes :
1) L’information que l’essai existe :
2) La publication pour tous les essais d’un résumé de la méthode et des résultats
3) La mise à disposition d’un document plus complet sur la méthode et les résultats, par exemple le rapport d’essai clinique.
La campagne Alltrials ne demande pas que les données individuelles soient rendues publiques.
BG cite néanmoins un éditorial du BMJ demandant que les données individuelles soient plus aisément disponibles et considère qu’il ne serait pas déraisonnable qu’il en soit ainsi. C’est une précision importante.
Le papier de JC regroupe les arguments usuels. Concernant la mise à disposition des IPD, l’argument est double :
1) On ne peut rendre les IPD publiques que si cela est conforme au consentement éclairé signé par le patient
2) Le risque de perte de l’anonymat des patients doit être pris en compte. Ce risque d’identification pourrait limiter les possibilités d’inclusion de patients dans les essais cliniques et retarder la mise sur le marché de nouvelles thérapeutiques.
Les IPD seront-elles finalement disponibles ?
L’EMA comme le souligne BG est en train de mettre en place des procédures pour rendre publiques les données des dossiers d’AMM. A priori selon le document proposé pour consultation publique, les rapports des essais cliniques devraient être rendus publics.
Concernant les IPD, les règles seront plus strictes. En particulier, il faudra dire quelles analyses on souhaite faire, que cela soit conforme au souhait exprimé par le patient dans le consentement et que les analyses soient réalisées dans un intérêt de santé publique (ligne 181 : « requester has agreed, by way of legally binding data-sharing agreement, to access controlled data for the sole purpose of addressing a question or conducting analyses that are in the interest of public health, in line with the spirit of informed consent» ).
Ces quelques lignes sont de potentielles barrières à l’obtention des données.
Si je demande les données pour rechercher un biais, cela sera t-il considéré comme un intérêt de santé publique ? Compte tenu de l’empressement de l’EMA à porter une quelconque minime attention aux données sur Avonex, je doute que ce soit le cas !
Si le patient signe un consentement sur lequel est inscrit : « afin d’assurer la confidentialité de vos données, seuls le sponsor de l’essai et les autorités de tutelle pourront avoir accès à vos données », les IPD seront-elles disponibles ? Probablement pas et le patient sera rassuré d’avoir signé ce document même si ses données sont utilisées pour présenter des résultats biaisés. On peut même imaginer qu’il lui soit demandé (avec une case à cocher) s’il accepte que ses données soient mises à disposition de la communauté scientifique. Tout contrôle de l’essai sera impossible.
Lors d’une requête d’IPD, ces deux points pourront faire l’objet d’interminables discussions et servir de prétexte à des refus de mise à disposition des données. Les IPD seront donc peut-être disponibles mais il est probable que le médiateur sera assez souvent impliqué !
Si vous avez un peu de temps devant vous, lisez le draft et envoyez vos commentaires avec le document adéquat ici avant le 30 septembre.
Est-ce important de disposer des IPD ?
Dans mes différents posts, je vous ai présenté trois cas concernant 3 produits : Avonex, Tecfidera et Crestor.
Dans les trois cas, seules des données fournies par la FDA et non disponibles dans les publications permettent de suspecter ou démontrer le biais.
Pour le premier produit, le sponsor a prétendu dans le rapport clinique que son efficacité augmentait au fil du temps. Cette amélioration apparente n’est en fait que la conséquence d’un suivi plus long de bons répondeurs au verum et de mauvais répondeurs au placebo. La FDA a fait des analyses démontrant le biais, l’EMA a pris pour argent comptant l’affirmation du sponsor. Le rapport d’étude clinique soumis à l’EMA mentionne dans la liste des appendices des analyses permettant de soupçonner le biais (analyses selon la durée de suivi dans l’essai). Malheureusement ces appendices ne figurent pas dans le dossier qui m’a été remis et l’EMA ne disposerait pas d’autres documents.
Pour le second, malgré la publication de multiples analyses sur des sous-groupes, seule la FDA mentionne la meilleure efficacité du produit chez les patients ayant présenté un effet secondaire spécifique et immédiat favorisant une levée de l’aveugle.
Enfin pour le troisième, l’analyse de cet essai tronqué par la FDA, met en évidence un risque accru de problèmes vasculaires (le critère d’évaluation) avec le verum au cours de la première année sur la quasi-totalité des patients inclus. Heureusement, au cours des années ultérieures, les choses s’arrangent mais moins de la moitié des patients inclus sont analysés. Il n’y a pas de description des patients selon leur durée de suivi.
En lisant les publications sur ces produits, on peut pour chaque essai conclure à un risque de biais : 2 essais tronqués et un produit dont la tolérance limite la possibilité de double-aveugle. Mais le risque de biais n’empêche pas l’inclusion des essais dans les méta-analyses, même celles de la Cochrane.
La mise en évidence des biais repose pour ces produits sur des analyses des IPD fournies par la FDA. Peut-être ai-je raté cette information sur une publication, j’en doute mais si vous l’avez, merci de me l’envoyer.
Néanmoins, certaines analyses manquent pour bien comprendre l’impact potentiel du biais (caractéristiques des patients selon la durée de suivi et efficacité selon ces sous-groupes pour les essais tronqués, caractéristiques des perdus-vue, ordre d’inclusion des patients…). Seules les analyses sur IPD peuvent permettre de les réaliser.
L’impact de ces biais est une surévaluation possible de l’efficacité. Cela modifie donc les stratégies thérapeutiques et peut induire bien évidemment une perte de chance pour les patients.
Peut-on finalement se contenter des seules analyses de la FDA et lui donner un blanc seing pour les analyses des biais ?
On notera que dans ces trois cas précités, la FDA ne mentionne pas le biais possible (ou certain) dans le RCP et dans les trois cas, le produit est sur le marché américain.
L’EMA ne ré-analyse pas les essais à partir des IPD.
Si la FDA s’aperçoit que seules ses analyses permettent de mettre en évidence des biais sur les produits qu’elle cautionne, continuera t-elle à réaliser ces analyses et à les publier ? Le fera t-elle pour tous les produits avec la même pugnacité?
Les trois premières demandes d’Alltrials permettront donc d’éliminer le biais de publication et d’obtenir des funnel plots bien symétriques accompagnant les méta-analyses. Elles permettront aussi probablement d’avoir des informations plus complètes sur les essais si les rapports d’essai clinique sont rendus publics. Mais il est tout à fait possible de rédiger un rapport d’essai clinique sans mentionner d’analyses permettant de suspecter un biais.
Il est donc tout aussi important que ces IPD soient publiques pour les informations qu’elles permettent d’obtenir mais aussi pour que tous les sponsors sachent qu’elles seront disponibles.
Je suis heureux que BG, avec le BMJ, marque son souhait que les IPD soient plus facilement disponibles. Espérons qu’un même entrain soit appliqué pour cet objectif que celui appliqué pour la campagne Alltrials