Tecfidera® (ou BG-12) est le nouveau produit de « Mon Maître ». Vous allez me dire que je suis un peu obsessionnel vis-à-vis de « Mon Maître ». Ce à quoi, je vous répondrais que je ne fais qu’appliquer une règle élémentaire de marketing : le ciblage. Quand on a un bon client – fournisseur de données biaisées -, on investit sur lui car il peut surement vous en donner plus !
Tecfidera® est le dimethyl fumarate. Il est transformé dans l’organisme en mono-méthyl fumarate. Le di-méthyl et des sels de mono-éthyl fumarate sont associés dans le Fumaderm®, disponible sur le marché allemand au prix d’environ 6 euros par jour pour le psoriasis. Ce médicament était vendu par le laboratoire Fumapharm AG, racheté par Biogen en 2006. La dose approuvée est de 240 x 2 /jour.
Les données que je viens de télécharger sont disponibles là. La « medical review » (288 pages) est la plus intéressante (avec la fin de la revue statistique). Le site de la FDA, en particulier cette page vous permet d’accéder aux revues de tous les produits mis sur le marché américain ou du moins les plus récents. La FDA, à la différence de l’EMA, ré-analyse les essais des dossiers soumis et fournit donc des données beaucoup plus intéressantes que celles publiées par l’EMA qui ne fait le plus souvent que recopier des informations fournies par le demandeur.
Le dossier d’AMM inclut deux grandes études cliniques de phase III contre placebo, chacune évaluant deux doses de Tecfidera®. Les deux études ont été publiées dans le NEJM. Elles sont en accès libre et les données complémentaires sont à télécharger aussi. Une des études compare aussi l’acétate de glatiramère (Copaxone®) mais ce bras n’est pas en aveugle (nous l’appellerons étude 2, l’autre étant la 1).
L’étude 1 a inclus 1237 patients, 952 (77%) ont été suivis pendant les deux ans ; sur ces 952, 119 ont arrêté le traitement. L’analyse en per protocole devrait donc inclure 833 patients soit 67% des inclus. L’étude 2 a inclus 1070 patients dans les 3 groupes Tecfidera® et placebo (+360 dans le groupe glatiramère dont je ne reparlerai pas), 835 (78%) ont été suivis pendant les deux ans ; sur ces 835, 100 ont arrêté le traitement. L’analyse en per protocole devrait donc inclure 735 patients soit 68,7% des inclus.
Les patients inclus dans les deux études étaient à peu près similaires ; un score EDSS (échelle de handicap) un peu plus bas dans l’étude 1 que dans l’étude 2 malgré un âge un peu supérieur mais plus de femmes et plus de patients ayant déjà reçu un traitement de fond.
L’évaluation se faisait principalement sur la survenue de poussées, soit sur le nombre de patients ayant fait une poussée (étude 1) soit sur la fréquence des poussées (étude 2). Les critères secondaires incluaient tous les critères usuels.
Les poussées étaient validées par un comité ad hoc. En cas de validation de la poussée, une confirmation du consentement était demandée et le patient pouvait être alors sortir de l’essai et être traité par un autre traitement de fond approuvé. A partir de la 48ème semaine, et en cas de survenue d’une poussée après la semaine 24 (étude 1) ou 2 poussées (étude 2) ou d’une progression du handicap, les patients pouvaient être traités par un autre traitement de fond approuvé. S’ils choisissaient Avonex®, le produit était fourni gratuitement sinon cela dépendait de la prise en charge dans chaque pays.
Les études étaient bien sûr internationales. Les pays étaient répartis en trois zones selon la géographie et l’accès aux soins : Région 1: USA (16% dans l’étude 1 et 19% dans l’étude 2) ; Région 2: Europe de l’ouest + Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Israël et Afrique du sud (42% dans l’étude 1 et 15% dans l’étude 2) ; Région 3: Europe de l’est + Inde, Guatemala et Mexique (42% dans l’étude 1 et 66% dans l’étude 2).
Des IRM étaient réalisées, mais seulement sur une cohorte de patients.
Les résultats sont meilleurs que ceux annoncés pour Avonex® sur les poussées mais l’étude 2 n’a pas permis de démontrer un effet sur la progression du handicap. Il n’y a que 30% de sortie d’essai ; cela reste néanmoins un taux important mais les sorties d’essai étaient favorisées par la demande de consentement après chaque poussée et l’offre de traitement gratuit à un an sous condition.
Validation des poussées
La survenue de poussées devait être validée par un comité de 3 neurologues.Le médecin « traitant » (i.e. celui qui prescrit le produit, collige les effets indésirables et donc, est au courant dans un bon nombre de cas du traitement pris par le patient et de son évolution) devait faire appel à ce comité si le médecin « évaluateur », i.e. celui réalisant l’examen neurologique, mentionnait une évolution du statut neurologique du patient. Le dossier, examiné séparément par chaque membre du comité, comportait des données des deux médecins (traitant et évaluateur) en particulier les derniers examens biologiques, mentionnant probablement une possible lymphopénie observée sous traitement voire les troubles cliniques initiaux.
Je n’ai pas vu d’analyses permettant d’évaluer le nombre de poussées non validées. Peut-être est-il possible de déduire certaines informations à ce sujet du nombre de patients ayant présenté une poussée comme effet adverse du traitement. Ces patients sont plus nombreux que ceux pris en compte dans l’analyse de l’efficacité (donc avec poussées validées) : +10%, +13% et +20% dans l’étude 1 respectivement pour les groupe placebo, 240 BID et 240 TID. Les pourcentages sont +11%, +18% et +12% pour l’étude 2. Il y aurait alors proportionnellement plus de patients avec poussées non validées dans les groupes traités par BG-12.
Analyse de sous-groupes
Plusieurs analyses de sous-groupes ont été réalisées. Le bénéfice du traitement est environ moitié moindre chez les patients dont l’EDSS au départ est supérieur à 2. Pareil pour les patients de plus de 40 ans. Les patients qui ont une SEP plus avancée tirent donc un moindre bénéfice du traitement. Cela est usuel pour les traitements de la SEP évoluant par poussée.
Dans l’étude 1, les patients non traités précédemment par un traitement de fond bénéficient plus du traitement ; c’est le contraire pour l’étude 2.
Il y a aussi des analyses par région dans la revue statistique. Les résultats sont variables. A noter une augmentation de la fréquence des poussées dans la région 1 pour les patients sous acetate de glatiramère par rapport au placebo.
Les résultats cliniques dans la cohorte IRM sont meilleurs que ceux observés pour les patients non inclus dans cette cohorte pour le 240 BID (Hazard ratio de l’étude 1 : 0.41 vs 0.63 ; Rate ratio de l’étude 2 : 0.497 vs 0.623). C’est le contraire pour le 240 TID.
Plusieurs analyses complémentaires ont été réalisées, destinées à démontrer la robustesse des résultats. Ces analyses sont résumées pages 269/288. Elles sont disponibles dans la revue statistique de la FDA. De manière générale, elles modifient peu les résultats car les modifications ont peu d’impact sur le nombre de patients. Une de ces analyses semble prendre en compte pour l’étude 1 et pour les groupes traités toutes les poussées comptabilisées comme effet adverse.
Analyses en ITT et en PP.
Une définition de la population à inclure dans les analyses per protocole est fournie page 217 de la « medical review ». Ce sont les patients satisfaisant aux principaux critères d’inclusion (!), ayant pris 70% du produit et n’étant pas inclus dans un des 3 sites n’ayant pas respecté les bonnes pratiques cliniques. Donc a priori, cette évaluation ne nous permet pas d’avoir une information réellement intéressante en comparaison de l’analyse en ITT, i.e. une information sur les sorties d’essais.
Il y a bien un graphique type Forest plot pour chaque étude avec des odd ratio et des hazard ratio mais les deux analyses (ITT et PP sur les patients ayant fini l’étude) semblent porter sur des critères utilisant des définitions différentes des poussées et seuls les ratios sont fournis. En plus les abscisses du Forest plot ne correspondent pas aux données chiffrées, du moins pour l’étude 1.
Les graphiques sont repris dans les appendix du NEJM.
Sorties d’essai
L’impact des sorties d’essai sur le critère principal de chaque étude est différent. La proportion de patients ayant fait une poussée n’est pas impactée par la sortie d’essai si le patient a déjà fait une poussée. Le biais est possible si le patient sort sans avoir fait de poussées. Dans l’étude 2, la fréquence des poussées sera impactée par la sortie d’essai des patients.
Le délai avant la sortie d’essai diffère selon le groupe de traitement. Les patients sous placebo sont sortis plus tardivement que ceux sous traitement. Deux graphiques montrent les courbes de sortie des patients pour les deux études en page 267/288 et pour l’étude 2 en page 245/288 (voir ci-dessous). Les courbes se croisent à 1 an, date au delà de laquelle les patients pouvaient recevoir Avonex® gratuitement sous certaines conditions. Ces conditions permettent d’inciter les patients ne bénéficiant pas d’une prise en charge à rester pendant au moins un an. Les patients qui ne peuvent bénéficier de cet offre et donc doivent rester dans l’essai sont les patients qui n’ont pas fait de poussées. Donc ceux qui quittent l’essai ont déjà « validé » le critère sur le nombre de patients ayant eu une poussée. En deuxième année, on peut donc s’attendre à ce que les patients qui n’ont pas fait de poussées restent plus facilement dans l’essai. Parmi eux, ceux sous traitement favorisent la positivité de l’étude, ceux sous placebo la défavorise mais si les patients font une poussée alors ils peuvent bénéficier d’un traitement gratuit. Cette incitation « à la poussée », plus sensible dans le groupe placebo est surtout valable pour les patients de la région 3 ; dans les deux autres régions, les patients peuvent quitter l’essai et être pris en charge à n’importe quel moment.
Il ne serait pas inintéressant de disposer des sorties d’essai par période de 6 mois, par groupe de traitement et par région (avec le statut selon l’occurrence de poussées).
Les sorties d’essais des patients sous traitement sont très probablement liées à une intolérance ; on peut donc se poser des questions sur la qualité de l’aveugle. On ne sait pas si les sorties initiales des patients sous BG-12 sont liées seulement à une intolérance ou à une intolérance + une poussée.
Au cours de la première année, soit avant que la sortie d’essai permette de bénéficier d’un traitement gratuit, le nombre de sortie d’essai est plus élevé dans les groupes traités. C’est l’acétate de glatiramère qui a le moins de sorties d’essai.
Les arrêts de traitement étaient plus fréquents dans la région 1 (43% et 36%) que dans la région 2 (33% et 31%) eux-mêmes plus fréquents que dans la région 3 (27% et 27%). La possibilité d’être pris en charge en dehors de l’essai favorise probablement une sortie précoce d’essai et donc le statut des patients (ayant fait une poussée ou non) à la sortie.
Dans tous les cas, tirer une conclusion des données sur les sorties d’essai sur une supériorité du traitement par rapport au placebo n’est pas valide.
Impact des effets indésirables spécifiques.
Tout comme Avonex®, qui entraine dans les 24 heures après l’injection un syndrome pseudo-grippal, Tecfidera® entraine un flush, genre de bouffées de chaleurs, dans l’heure qui suit la prise. L’effet s’estompe le plus souvent au fil des semaines.
Au cours du premier mois, cet effet indésirable est rapporté pour 30% des patients sous traitement contre 5% pour les patients sous placebo. D’autres études mentionnent des taux bien supérieurs (68% et 96% dans une étude évaluant l’impact de l’alimentation sur le flushing et 51% avec des faibles doses) de survenue de cet effet indésirable. Les troubles digestifs étaient aussi plus fréquents à l’instauration du traitement.
A la fin de la « medical review », l’efficacité des traitements est analysée selon que le patient a ressenti ce flush ou non. Les patients qui ressentent un flush tirent un meilleur bénéfice du traitement que ceux qui n’en ressentent pas.
Je ne pense pas qu’il faille en conclure que les patients qui font un flush ont une sensibilité particulière au traitement ! Il est plus probable qu’une levée de l’aveugle liée à cet effet indésirable spécifique soulage un patient qui n’aurait pu se payer un traitement sans cet essai. Le problème dans ce cas n’est pas tant le soulagement du patient se sachant dans le groupe traité que l’angoisse de celui qui s’aperçoit qu’il est dans le groupe placebo car il n’a pas ressenti l’effet indésirable décrit dans la note d’information.
L’impact de cette levée de l’aveugle est manifeste à la vue des résultats ci-dessous. Il faut remplacer le 0.46 du second tableau par 0.40 comme indiqué sur « la table 33» dessous. Il est en outre étonnant que la moyenne pondérée de 0.22 et 0.20 de l’étude 2 -302- pour BG 12-TID fasse 0.198 (avec 24% de patients « flushing » dans ce groupe, il est néanmoins possible que cela soit lié aux arrondis).
Il n’y a pas de questionnaires sur le maintien de l’aveugle décrit dans le document de la FDA. C’est dommage car il possible que le recueil du flushing dans ces grandes études, moins performant que celui fait dans des études spécifiques, minimise le nombre de patients qui l’ont ressenti. En outre, on ne connait pas le nombre de patients sous placebo qui avaient suspecté leur attribution à ce groupe.
En conclusion,
Le principal problème de cette étude est la perte de l’aveugle et son impact sur les résultats des critères principaux d’évaluation. Les patients sans flushing « répondent » moins bien au traitement.
C’est souvent difficile pour certains produits de conserver l’aveugle compte-tenu d’intolérances spécifiques. C’était aussi probablement le cas pour Avonex®. Sans cet effet secondaire, l’efficacité de Tecfidera® sur la fréquence des poussées serait de -37.5% environ.
Au cours des essais Tecfidera®, il y a plusieurs situations de choix au cours desquelles l’absence d’aveugle, de la part du malade ou du médecin peut influencer les résultats. Chaque validation des poussées par un comité disposant des données des deux médecins constitue une occasion de choix (comptabilisation ou non de la poussée pour le critère d’évaluation) dans un contexte de levée de l’aveugle. La confirmation du consentement, après chaque poussée validée par le comité, devant le médecin traitant (celui qui collige les effets indésirables) est aussi un moment au cours duquel la décision de sortie ou non de l’essai peut être influencée par la levée de l’aveugle.
Les deux études sont réalisées sur un principe similaire, deux doses versus placebo, avec dans l’étude 2 un bras ouvert avec la Copaxone®, leader actuel du marché. Il est très étonnant que son efficacité dans la région 1 soit inférieure à celle du placebo !
Plusieurs éléments complexifient l’analyse de ces études :
- Les règles de sortie d’essai, d’impact variable selon l’efficacité initiale des produits et selon les régions, rendent difficiles l’évaluation de l’efficacité au fil du temps et la compréhension des motivations de sorties.
- La différence des règles de sortie d’essai dans les 2 études et l’utilisation de deux critères principaux différents, sur lesquels sont réalisées les analyses complémentaires, limitent la comparabilité des résultats des études.
- Le critère « événement unique » de l’étude 1 et la condition minimale (1 poussée) de la règle de sortie rendent difficile l’évaluation sur les critères sur deux ans. Les analyses complémentaires sont peu modifiées si la variation du nombre de patients est faible ou définie sur un événement postérieur à la validation du critère.
- La levée de l’aveugle liée au flushing survenant en début d’essai, son impact sur la comparaison est immédiat et influencera donc les sorties d’essai. Favoriser les sorties d’essai augmente l’impact de ce potentiel biais initial. Dans l’étude CHAMPS, 60% de la différence sur le critère principal d’évaluation entre le groupe Avonex® et le groupe placebo était déjà obtenue en 4 mois et un tiers en un mois.
A la sortie de ce produit, se posera la question de son positionnement vis-à-vis des concurrents et de son prix.
Pour son positionnement, les résultats publiés le portent vers le Fingolimod, donc vers des produits plus efficaces que les interférons et l’acétate de glatiramère mais moins que les anticorps monoclonaux. Malheureusement, il n’y a pas d’études comparatives et la perte de l’aveugle altère l’évaluation.
Aux USA, son prix est légèrement inférieur à celui du Fingolimod de Novartis (approx 50 000 $/an). Son prix de revient est assez faible. Biogen a engrangé avec Avonex® plus de 25 milliards de dollars sur un essai présenté aux autorités européennes et américaines selon des modalités masquant un biais manifeste majorant les résultats. Il sera intéressant de voir si les autorités pardonneront à Biogen de les avoir pris pour des incompétents et finalement d’avoir eu raison !
Rien n’est parfait dans la vie, mais c’est toujours mieux que les médecines alternatives qui vendent du vent, sans aucunes études a l’apuie, hormis leurs études imaginaires lolllllllllll
Je ne suis pas rassurée par votre article, et je devrai attendre encore longtemps pour être satisfaite de mes prescriptions de neurologue de base … mais je comprends pourquoi j’ai des doutes et je suis heureuse d’avoir trouvé un auteur qui a la compétence critique qui me manque.
Merci de votre livre et de ce blog.