J’ai entendu cette phrase, « on peut avoir la vérole et un bar-tabac », pour la première fois quand j’étais externe. Puis, j’ai appris que si, à l’extérieur de l’hôpital, on peut effectivement avoir la vérole et un bar-tabac, en pratique, sous certaines conditions, on a plus souvent les deux quand on est à l’hôpital.
Propriétaires de bar-tabac, cette phrase est à prendre à un degré supérieur à 1. Elle signifie juste qu’un patient peut avoir deux pathologies sans qu’il n’y ait aucune relation entre les deux. Ce n’est pas parce que vous avez un bar-tabac que vous avez la vérole et ce n’est pas parce que vous avez la vérole que vous avez décidé d’acheter un bar-tabac ou qu’on va vous en offrir un. Il n’y a pas non plus de cause commune favorisant la vérole et l’achat d’un bar-tabac.
Néanmoins, je n’ai pas de référence à citer sur ce sujet.
La démonstration théorique de l’augmentation de la fréquence des associations de pathologies chez des patients hospitalisés date de 1938. La publication de la démonstration date de 1946. Elle est disponible là.
C’est le biais de Berkson.
Berkson prend l’exemple de 3 pathologies : le diabète, la cholécystite et les troubles de la réfraction
A priori, en 1938, on n’hospitalise pas pour les troubles de la réfraction, par contre les deux autres pathologies « favorisent » l’hospitalisation. Berkson se sert des troubles de la réfraction comme groupe contrôle et considère qu’il n’y a pas d’association entre ces 3 pathologies dans la population générale. Il affecte à chaque pathologie une fréquence dans la population générale et un pourcentage d’hospitalisation. Un patient ayant deux pathologies a une probabilité d’être hospitalisé égale à 1-txt’ où t et t’ sont les probabilités de ne pas être hospitalisé pour chaque pathologie.
Tous les calculs sont bien explicités dans l’article.
Les calculs aboutissent à une plus forte représentation des cholécystites chez les diabétiques et chez les patients atteints de troubles de la réfraction. Alors que, bien sûr, que ce n’est pas le cas dans la population générale, les pathologies étant par définition considérées non « liées ».
Même si les probabilités d’hospitalisation sont identiques pour les différentes pathologies, les associations sont plus élevées dans la population hospitalisée par rapport à celles observées dans la population générale.
Berkson considère que la probabilité d’hospitalisation est identique si un patient a une ou deux pathologies. C’est probablement faux, mais comme Berkson le dit, cela minimise la concentration à l’hôpital des patients à pathologies multiples et ses résultats sont donc valides.
Un des derniers commentaires de Berkson élargit l’impact potentiel de ce biais. Il fait remarquer que l’augmentation des associations peut aussi s’observer avec un caractère non pathologique comme la couleur des yeux. Il doit donc pouvoir aussi s’observer avec la prise d’un médicament quelconque.
En 1938 et même en 1946, Cornfield n’avait pas encore démontré l’intérêt des odds-ratios. Donc Berkson n’en parle pas.
C’est un peu dommage car l’odds-ratio peut varier dans les deux sens.
Pour vous permettre de vous faire une idée sur l’impact d’une mesure de sélection (ici hospitalisation) sur les associations de pathologies, je vous ai préparé un petit fichier excel. Vous pouvez modifier les cellules en jaune.

Il y a deux fils de calcul : sur la partie gauche, les diabétiques et les cholécystites ne peuvent pas avoir la pathologie C. Dans la partie à droite, ils le peuvent mais dans les deux cas, ceux qui ont la pathologie C ne peuvent avoir ni diabète ni cholécystite. Cela change les pourcentages d’hospitalisation (calculés selon la formule de la publication de Berkson)
En conclusion, vous pouvez obtenir l’odds-ratio que vous voulez selon les chiffres que vous mettez dans les cases en jaune.
Conclusion 1 : Vous avez donc plus de chance de voir un vérolé propriétaire de bar-tabac parmi les patients hospitalisé qu’à l’extérieur de l’hôpital. Dans la population hospitalisés, le pourcentage de vérolés est plus élevé chez les propriétaires de bar-tabac que dans la population générale (ainsi que le pourcentage de propriétaires de bar-tabac chez les vérolés). Les pourcentages horizontaux et verticaux chez les hospitalisés sont supérieurs à ceux dans la population générale. Mais l’odds-ratio, dans le tableau du bas, peut être peut être inférieur à 1 (il peut aussi être supérieur à 1).
Conclusion 2 : ce n’est pas pour autant une preuve de l’existence d’une association entre les deux
Conclusion 3 : Vous voyez que c’est facile de faire une étude pourrie.
Conclusion 4 : je me demande si une des études sur la dompéridone n’était pas faite chez des patients hospitalisés.
C’est marrant, j’ai toujours cru que cette expression était plutôt à rapprocher du « un train peu en cacher un autre », soit « Si ton malade a la maladie X, il en a peut-être une autre à côté de laquelle il ne faudrait pas passer ». Mais en y réfléchissant, je pense que tu as raison.
C’est la beauté des expressions auxquelles on peut attribuer une signification variable. Je t’avoue que mon hypothèse sur cette expression collant bien au biais de Berkson, je n’ai pas cherché plus loin. Dans tous les cas, il faut appliquer nos deux hypothèses en médecine, donc selon le principe de finalité, elles sont toutes les deux exactes!
Merci de ton commentaire
Bonjour,
J’ai aussi entendu cet adage en étant externe à Paris. Il signifiait alors que, si l’on peut dans la vie avoir une vérole et un bureau de tabac, par contre, il faut éviter de chercher à relier les signes de maladie observés à plus d’une pathologie. Il faut chercher la maladie qui regroupera le plus possible de signes, au lieu d’attribuer tel signe à une, tel signe à une autre etc.
C’est la version médicale du rasoir d’Occam.
Voilà.