Le même jour, l’EMA met en ligne les propositions des groupes de travail sur les modalités de publication des données brutes des essais cliniques et la cour européenne interdit à l’EMA de mettre à disposition du public les données du dossier d’AMM de produits des laboratoires Abbvie et InterMune .
L’EMA se demande si elle ne pas faire appel de la décision. Il est vrai que sous la direction de Guido Rasi, l’EMA semble faire preuve d’un réel souci de transparence, même si les difficultés que j’ai eues à récupérer un dossier incomplet paraissent témoigner du contraire. Considérons 2013 comme la phase de transition vers la transparence (dont l’EMA parle depuis 1997) et laissons le bénéfice du doute à Guido Rasi.
Le motif de ce refus est la présence d’informations commercialement confidentielles dans ces dossiers. L’EMA se réjouit que la cour européenne se penche sur la définition de ce qui est ou n’est pas des CCI (Commercially Confidential Information). En 2007, l’EMA avait tenté de définir ce qui pouvait être qualifié de CCI dans un dossier d’AMM. Pour mémoire le dossier d’AMM est composé de diverses informations décrites ici ou là.
Pour quelques CCI, voici des conséquences possibles de leur publication ou de leur non publication.
Elément du dossier d’AMM |
La publication : préjudice pour le Laboratoire |
La non-publication : préjudice pour les autres |
Informations sur la qualité et la fabrication | Permet à quiconque de faire une copie du médicament pendant la période de protection. Certains pays n’appliquent pas les mêmes règles sur les brevets.Risque de perte de protection | Peux limiter la possibilité de copie à la fin du brevet et permet le dépôt de brevets complémentaires |
Méthode de fabrication et de contrôle, description des produits de dégradation |
Permet la copie (générique, me-too, biosimilaires) | Limite les connaissances sur le produit final et la possibilité de générique |
Fournisseurs |
Toute action sur le fournisseur peut impacter la fabrication du produit et permet éventuellement de retracer les procédés de fabrication | Une mise en cause du fournisseur doit pouvoir être liée aux produits consommés. L’origine géographique peut devenir un critère de choix |
Méthode dosage |
Permet des analyses « indépendantes » de pharmacodynamie | Bloque les génériques si la méthode de dosage n’est pas disponible |
Informations sur le développement préclinique | Permet de connaître des risques potentiels du produit | Limite les connaissances sur les signaux faibles de toxicité. |
Informations sur le développement clinique | Permet à tous de mieux connaître l’épidémiologie de la maladie, les répondeurs, les non répondeurs,Permet de mettre en évidence des biais dans les essais cliniquesPermet de connaitre les essais cliniques non publiés (plus souvent négatifs)
Peut dévoiler une nouvelle méthode d’analyse (statistique par exemple) |
Limite les connaissances sur les médicaments et sur les maladies Favorise l’approbation de médicaments évalués sur des essais biaisésConséquence du biais de publication : les méta-analyses perdent de leur crédibilité
|
La non-publication des données du dossier d’AMM permet donc à un laboratoire de
- Prolonger sa protection en entravant les possibilités de création de copies
- Limiter la connaissance sur la maladie et sa prise en charge thérapeutique (détection des non/mauvais répondeurs, facteurs pronostiques de profils évolutifs spécifiques)
- masquer des biais dans l’évaluation ou des risques de toxicité.
Tous les éléments ci dessus ont potentiellement des effets délétères sur la prise en charge des patients.
Les difficultés pour déposer des brevets valides dans certains pays sont à régler par l’OMC ou d’autres instances internationales. La limitation des connaissances sur le médicament ne peut être justifiée par un problème nécessitant d’autres solutions. La restriction de la connaissance publique du médicament permet aussi le dépôt de brevets supplémentaires destinés à retarder l’arrivée des génériques. Entraver la possibilité de lancement de génériques est non seulement illégal mais a bien sûr un effet délétère sur la santé des patients.
Limiter les connaissances sur la maladie rend aléatoire la prise en charge personnalisée de chaque patient. Définir les bons et mauvais répondeurs à un traitement est contraire à toute considération économique car cela diminue automatiquement le marché potentiel du médicament ! Cette méconnaissance entraine des risques indus pour les patients traités à tort et des surcouts pour la société.
L’impact négatif du point 3 est évident.
Voila certains des enjeux de la mise à disposition de la communauté des données des dossiers d’AMM.
Plus méchamment, on pourrait aussi supposer que si toutes les données sont disponibles, il sera plus difficile de corrompre un évaluateur pour lui faire dire quelque chose de faux. Cela permettra aussi aux investigateurs de vérifier que toutes les données concernant leurs patients inclus dans les essais ont été correctement prises en compte.
En plus, comme l’EMA ne ré-analyse pas les données qui lui sont fournies par les laboratoires, il n’est peut-être pas inutile que ces données soient ré-analysées par quelqu’un.
Plusieurs journaux, auteurs de livres sur l’industrie pharmaceutique, ou membres de Cochrane militent pour cette disponibilité des données des dossiers d’AMM. D’autres campagnes sont axées sur les biais de publication ; c’est important certes mais insuffisant.
En France, personne ne s’intéresse à ce problème… Mais tout le monde s’étonne des scandales sanitaires…