Le temps est impliqué dans la survenue de nombreux biais, principalement dans les études épidémiologiques mais aussi dans les essais cliniques. Ces biais sont souvent assez difficiles à diagnostiquer en raison de la non-publication des données permettant de les mettre en évidence.
Les essais cliniques ont toujours un critère d’évaluation impacté par le temps.
Il peut s’agir d’un délai d’apparition d’un événement unique, éventuellement confirmé après un délai fixe ou variable, d’une fréquence de survenue d’événements multiples, ou d’une variation sur une échelle donnée. Même si on analyse uniquement le nombre de patients qui présentent un événement, la probabilité de survenue de l’événement est dépendante du temps de suivi.
On peut imaginer des exceptions. Par exemple, si la durée de suivi après la randomisation est identique pour tous les patients inclus ou si tous les patients valident un événement unique. Malheureusement, il est rare qu’il n’y ait pas de sorties d’essais ou qu’on attende que tous les patients aient validés le critère d’évaluation si on peut faire plus court.
Les résultats des essais cliniques mentionnent généralement le nombre de perdus de vus et si l’analyse des résultats d’efficacité est basée sur une courbe de survie, on peut disposer d’une information sur le nombre de patients à risque de valider le critère à différents moments du suivi. Cette dernière information globalise généralement les sorties d’essai et les patients ayant déjà validé le critère. Certains recherchent ces informations à partir des courbes de survie des publications.
On ne dispose que très rarement de la durée de suivi des groupes.
Pour les principaux critères d’évaluation, sont indiqués ci-dessous les éléments influençant la survenue possible d’un biais.
Critère d’évaluation |
Risque de biais |
|
Evénement unique défavorable | ||
1 |
Pourcentage (tableau 2×2) |
Favorise le groupe suivi le moins longtemps |
2 |
Courbe de survie |
Dépend du délai de survenue de l’événement et de la durée de participation |
3 | Evénements multiples : fréquence | Dépend de la variabilité de la fréquence au cours du temps |
4 | Variation quantitative sur une échelle | Dépend du profil évolutif si l’échelle est non linéaire en fonction du temps |
Le cas N° 1 est évident, un patient suivi moins longtemps a moins de (mal)chance de valider un événement défavorable.
Le cas N°2 concerne les courbes de survie. Une des présentations les plus communes des résultats d’un essai clinique. Je vous ai fait un petit fichier Excel pour vous montrer l’impact du temps sur les résultats de la courbe (téléchargeable ici).

Sur l’onglet « même nombres » les deux courbes de survie se séparent même si les nombres de validations sont identiques dans les deux tableaux (colonnes D et L). La différence entre les deux courbes est uniquement liée au moment des sorties (immédiate pour la courbe rouge, à la fin de l’essai pour la courbe bleue). Ce résultat est tout à fait normal ; on excluant des patients au début de l’essai et en gardant le même nombre de validations du critère, cela majore leur impact car le dénominateur est plus petit. Donc la courbe en rouge est toujours en dessous. Pour égaliser les deux courbes, il faut augmenter les nombres de la colonne L en fonction de ces sorties (voir formule sur l’onglet « même % »). On peut considérer qu’en pratique, c’est ce qui doit se passer : si on a plus de patients à risque, on doit avoir plus de patients qui valident le critère.
Cas N° 3 et 4 : dans ces deux cas, la progression sur l’échelle et la fréquence de survenue des événements peuvent ne pas être linéaires en fonction du temps pour un patient donné ou varier selon le stade initial du patient. La sortie des patients en cours d’essai aura donc potentiellement un impact différent sur le résultat selon la date de sortie ; cet impact pouvant varier selon le stade initial des patients. Un exemple dans le fichier Excel sur l’onglet « échelle » Le gain moyen par intervalle sur l’ensemble de la période est différent de celui observé sur la première moitié des intervalles dans les exemples 2 et 3 pour lesquels la progression est non linéaire. Donc la sortie de patients en début ou en fin d’essai aura un impact différent sur la variation par unité de temps.
Normalement, dans un essai clinique, la randomisation et le double aveugle permettent d’avoir des groupes identiques au départ et le restant au fil de l’essai. Mais c’est sans compter sur les sorties d’essai.
Il n’est pas totalement déraisonnable de penser que les sorties d’essai peuvent être influencées par l’efficacité ressentie. Les patients qui présentent un effet secondaire ont peut-être plus tendance à quitter l’essai s’ils perçoivent une faible efficacité du produit. Les patients se présumant sous placebo peuvent être plus enclins à quitter l’essai s’ils se perçoivent plus gravement atteints.
Et puis surtout, certaines caractéristiques initiales des patients permettent de définir la probabilité de validation d’un critère ou le risque évolutif du patient. Si l’aveugle n’est pas parfait, l’exclusion de certains types de patients, définis à partir des données de base, peut favoriser la survenue d’un biais. Certes, on s’approche de la fraude, mais comme elle existe, autant la considérer comme une source de biais à part entière.
Ces patients sortis d’essais ne sont que très rarement décrits. Ni leurs caractéristiques initiales ni leur durée de participation ne sont indiquées dans les publications. Ces informations sont parfois mentionnées dans les rapports de la FDA, en particulier quand une procédure extrapolant les données disponibles pour obtenir la donnée finale (du type LOCF -last observation carried forward ou une autre procédure intégrant les caractéristiques des patients) est appliquée.
Seules les données individuelles permettraient de mettre en évidence ces cas de biais.
On en revient donc à la nécessaire transparence sur les IPD .
En épidémiologie, le temps est responsable de nombreux biais abondamment décrits dans la littérature. Ils ont en anglais pleins de noms : Immortal time bias et le « Survivor treatment selection bias » induisent une mauvaise classification des patients selon leur exposition. L’exposition au facteur évalué survient à distance de l’événement induisant l’inclusion dans l’étude. Ils sont classés dans les « bias due to exposure misclassification ».
Ces biais sont liés à l’existence de plusieurs dates : une date d’origine (exemple la naissance qui détermine l’âge), une date de survenue d’un événement qui permet l’inclusion des sujets dans l’étude (par exemple hospitalisation) et une autre date qui les classe dans un groupe ou l’autre (par exemple infection ou prise d’un traitement), la dernière date est celle de l’évaluation (décès/sortie/guérison)
Le time-window bias quand les sujets ont une durée à risque différente ; le time-lag bias quand les traitements sont donnés à différents stades de la maladie ; le lead-time bias est un time-lag bias et le length bias est un time-window bias…
En voici quelques exemples,
Considérons une prise en charge de patients s’effectuant en deux étapes : par exemple, le traitement d’une perforation colique par chirurgie avec colostomie puis fermeture à distance de la colostomie.
La possibilité de fermeture de la colostomie sera associée à une meilleure survie par rapport à l’absence de fermeture. A priori, on ne ferme les colostomies que sur les vivants, donc ceux qui ont été fermés sont vivants à distance de la première intervention ! Les auteurs ont recherché des exemples de ce biais et en ont trouvé plein dans la littérature. Il y a d’autres exemples ici et là.
Voici d’autres références sur ces biais d’immortalité (immortal time bias).
- Les acteurs oscarisés vivent plus longtemps que ceux qui ne le sont pas.
- Les statines et le diabète
- Les antihypertenseurs
- Metformine et cancer (description de plusieurs biais liés au temps)
- Article plus généraux de Suissa : ici et là
Un autre biais lié au temps est la conséquence de la formule suivante :
PRÉVALENCE = INCIDENCE x DURÉE DE LA MALADIE
Cette formule s’applique dans de nombreux domaines. En épidémiologie bien sûr, mais aussi pour augmenter les ventes d’un produit en diminuant sa durée de vie. Si le besoin (prévalence) est constant, l’incidence (occasions d’achat) doit augmenter.
Donc lors d’une évaluation de la prévalence d’une maladie avec des formes de durée différentes (graves et courtes d’une part et longues et moins graves d’autre part), on a plus de chance de relever les formes longues que les courtes. Les proportions de ces formes défavorisent les formes courtes. C’est le length time bias.
Donc, lors d’un screening pour une pathologie ayant des formes évolutives graves et rapides et des formes d’évolution plus lentes, les formes lentes seront préférentiellement mises en évidence. Donc le screening améliore le pronostic même si le traitement est le même…
Ce n’est pas la seule raison pour laquelle le screening améliore la survie. En diagnostiquant plus tôt, on augmente la durée totale de survie…. C’est le lead time bias.
Les nouvelles techniques de dépistage améliorent la survie et augmentent la prévalence des maladies.
Cela est indépendant des possibilités de faux positifs. Les nouvelles techniques peuvent aussi modifier la classification de maladies (taille des tumeurs, des anévrismes…) selon des facteurs pronostiques.
En conclusion : donnez-nous les données ! En ayant connaissance de la variabilité des réponses aux traitements en fonction du temps, il est possible de déceler plus aisément ces biais et surtout d’acquérir des informations permettant de les suspecter. Plein d’articles mentionnent des procédures pour analyser les études à risque de biais lié au temps mais encore faut-il avoir les informations pour les appliquer.